LA IXe Symphonie, de Mahler, dure une heure vingt, le Concerto pour deux pianos de Pergolèse vous tient quitte après onze minutes. Le premier de ces deux ouvrages est un univers immense, le second un microcosme délicat. Quant à dire que l'un est génial et que l'autre est simplement ingénieux, c'est une autre affaire : le talent ne se mesure pas aux dimensions d'une oeuvre, mais à son caractère, à son originalité, à ce qui la rend impérissable et particulière.
Cela dit, soyons reconnaissants à Carl Schuricht et aux responsables de l'orchestre national qui nous ont offert un festival Mahler capable de faire réfléchir ceux qui répètent : " Après Wagner, la musique allemande s'est tue. " Rien de plus beau ni de plus passionnément prenant que les Lieder eines fahrenden Gesellen, écrits l'année même où mourut Wagner. Eugenia Zareska en a été l'interprète fort émouvante et noble ; elle a traduit pour nous le langage fraternel et palpitant d'une âme inquiète entre toutes.
Quant à la Symphonie-Titan, j'étais jeudi soir en mauvaise condition pour en goûter l'intimidante splendeur. Même souffrant, on en subit la fascination, on s'abandonne à l'ouragan de musique au terme duquel une aube se lève, éclairée d'espoir. L'introduction finale des choeurs, sans aucune parenté avec ceux de la IXe symphonie, produit un effet splendide. La chorale de la R.T.F. et l'orchestre se mesuraient à un texte qui ne leur est pas familier. Qu'ils soient félicités de l'avoir aussi bien servi.
Le lendemain soir, l'orchestre de chambre Les Musica de Stuttgart, très habilement dirigé par Van Remortel, accompagnait Janine Reding et Henri Piette, duettistes véritablement incomparables. Un aveugle à qui l'on aurait fait entendre le Concerto de Pergolèse et l'Ut majeur de Bach, aurait parié pour un seul piano, tant le synchronisme des deux virtuoses est précis et toutes pareilles leurs esthétiques. Ce n'est pas assez de dire qu'ils jouent avec raffinement et perfection : ils interprètent Bach sans mièvrerie, comme sans sécheresse - avec humanité. Tout ce qu'ils font est vivant, clair et racé.
Clarendon.
Le Figaro, numéro 4189, 24 février 1958.