LA MUSIQUE PAR CLARENDON

CARL SCHURICHT

MAGIQUE ou non, la baguette est un gage de longévité : ils sont nombreux les chefs ayant dépassé quatre-vingts ans et qui témoignent au pupitre d'une confondante jeunesse. Celui-ci souffre d'une arthrose, se meut difficilement, étayé sur deux cannes - mais il s'affermit sur le podium et vous dirige debout toute une symphonie de Beethoven, ayant mis dans sa poche ses quatre-vingt-cinq ans et n'en faisant nul cas. Dès les premières mesures, nous retrouvons notre Schuricht d'autrefois : il n'a pas bougé.

Cela signifie que le style inhérent aux ouvrages de Beethoven est scrupuleusement respecté - et notamment le principe de la tension-détente. Pas d'alanguissement dans les épisodes calmes (au contraire, il relève le pas dans l'andante de la 1ere Symphonie et c'est parfait ainsi), aucune précipitation dans les mouvements rapides. On a maintes fois observé qu'en prenant de l'âge les chefs d'orchestre pèchent par excès de vitesse ou de lenteur. Grâce au ciel, les tempi de Schuricht sont intacts - comme sa passion de la musique. Si vous l'aviez vu fignoler l'introduction au finale de la 1ere Symphonie, penché sur les premiers violons, dosant scrupuleusement les silences du compte à rebours, calculant avec une minutie de physicien spatial l'accelerando qui communique au morceau la vitesse capable de le faire tourner, en rondo qu'il est, sur son orbite, et de faire entendre son refrain gazouillant à chacun de ses passages ! Le charmant vieil homme pétille comme un de ces fagots de bois sec où la sève accumulée provoque des étincelles. Après quoi, il vous dit, dans sa loge à l'entracte : " Je commence à comprendre ce qu'est la direction d'orchestre... "

Tel est l'aveu de tout grand homme que l'expérience n'a cessé d'enrichir, alors qu'elle en déçoit tant d'autres.

Splendide Neuvième, où l'Orchestre national et les choeurs de René Alix donnent le meilleur d'eux-mêmes, ce qui n'est pas peu dire ! Deux solistes - Agnès Giebel, Eduard Wollits - se font particulièrement apprécier. Et pour suivre le conseil de Schiller : " Embrassez-vous, millions d'humains ! ", Carl Schuricht va donner fraternellement l'accolade aux solistes de sa phalange. C'est peu dire qu'on l'acclame.

Clarendon.

Le Figaro, 17 juin 1965.

Thanks to Mrs. Martha Schuricht.

Typed by Dr. Gaël Rouillé


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