L'interprétation que Carl Schuricht, à la tête de
l'orchestre Philharmonique de Vienne, donna de l' " Héroïque "
et de la " Cinquième " atteignit une telle intensité
expressive que nombre d'auditeurs, cependant familiarisés avec
les thèmes beethoveniens, et notamment les fameux " coups du destin
qui frappe à la porte ", ont découvert des nuances et des
intentions à peine soupçonnées lors d'auditions
antérieures.
Pour beaucoup l'exécution de la " Quatrième " et de la
" Huitième " aura été une révélation.
C'est dans la " Quatrième Symphonie " que Beethoven, employant
pour la première fois le mode ternaire, se libère des
contraintes traditionnelles du rythme. Dans l'Adagio, le musicien a su
exprimer en un langage pathétique, une rayonnante mélodie,
admirable cantique d'amour.
Quant à la " Huitième ", qualifiée assez
légèrement de " Petite Symphonie ", elle peut être
considérée comme un chef-d'oeuvre de verve
élégante et d'originalité rythmique, notamment
dans " l'allegro final ".
Enfin, en conclusion de ce grand cycle beethovenien, fut donnée
hier soir la " Neuvième Symphonie ", suprême message du
musicien, qui ne trouvait de refuge que dans le monde intérieur
de la musique, et qui, dominant l'infirmité et le malheur, a
laissé un hymne éternel à la joie, à la
fraternité de tous les hommes.
Comme le public avait pu l'apprécier lors des soirées
précédentes, l'orchestre de Vienne se montra merveilleux
traducteur de cette oeuvre grandiose, tant par la perfection de son
quatuor que par l'éclat de ses fanfares. Les choeurs de la
Wiener-Singakadmie surent donner au final l'élan et
l'enthousiasme qui en sont l'essence véritable, par la
cohésion des ensembles et la perfection vocale des chanteurs,
notamment des soprani triomphant des difficultés des suraigus.
On peut louer sans réserve les qualités
d'interprétation des solistes : Mmes Wilma Lipp, Hilde
Roessel-Majdan, et MM. Libero de Luca et Otto Wiener.
Il est impossible de clore ce cycle, sans rendre hommage à
Carl Schuricht qui est sans doute le meilleur chef d'orchestre
beethovenien actuel. Sa sobriété de gestes, sa fougue
sans outrance, son intelligence et son sens aigu des nuances, nous
ont montré au cours de ces soirées suivies avec passion
par un public enthousiaste, le vrai visage de Beethoven.
Le Progrès, numéro 33706, 30 juin 1956.
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