Excerpt from
Nouvelle Revue de Lausanne, 14 Septembre 1954
Carl Schuricht dirige la Neuvième Symphonie de Beethoven
Participation glorieuse des chanteurs de la région
Les répétitions choeur et orchestre du samedi soir et
du dimanche matin vous font pénétrer dans une atmosphère
de travail intense, délivrée cependant de tout sentiment
d'oppression. Efforts tendus au maximum. Mais dans la joie, une sorte de
confiance heureuse. La victoire est proche après le dur labeur des
nombreuses répétitions. Chacun, instrumentistes et choristes,
se donne tout entier et Carl Schuricht, le front inondé de sueur,
mais serein, galvanise, spiritualise les énergies. Il y a de l'héroïsme
dans tout cela, il faut dire pourquoi. L'Orchestre National de Paris n'a
disposé d'aucun répit après les journées chargées
du Festival d'Edimbourg et de Besançon. A Montreux, les répétitions
se succéderont jour et dimanche, sans répit, sans provoquer
aucune récrimination, comme si c'était tout naturel. Les
musiciens vivent dans l'espoir d'une semaine de vacances qui leur sera
accordée au moment de leur retour à Paris.
Vous surprenez ces musiciens parisiens dans les locaux étriqués
de l'arrière-scène, encombrés des caisses destinées
au transport des instruments. En habit de concert, en cravate blanche,
ils se font les doigts, donnent un dernier poli à un passage difficile,
beaucoup moins préoccupés des questions de confort que pénétrés
du sentiment de la responsabilité découlant des servitudes
d'honneur attachées au poste qu'ils ont mission de défendre.
Ah ! les braves gens ! pensez-vous aussi, voyant à l'oeuvre l'armée
des choristes de Chailly sur Clarens et de La Tour-de-Peilz. Unis dans
le coude à coude sacré, toute distinction de classe, de profession
abolie, vignerons, agriculteurs, artisans, instituteurs, institutrices
du village, de la petite ville, tous brûlants du même enthousiasme,
indifférents aux longues stations debout, ils ont, ce dimanche matin,
durant trois heures, bien au-delà de midi, parachevé le magnifique
travail de répétition, inlassablement instruits des semaines
durant par Carl Schuricht et Robert Mermoud.
Mais pour l'endurance, la vitalité spirituelle - celle qui triomphe
de tous les obstacles - l'unanimité se fait autour de Carl Schuricht,
du chef exigeant et plein de bonté que tous les musiciens admirent.
A lui la palme.
A propos des concerts symphoniques berlinois qu'il dirigeait au début
du siècle, Weingartner disait qu'en raison des fatigues exceptionnelles
causées par les répétitions de la IXe Symphonie,
il avait obtenu que la répétition générale
ait lieu l'avant-veille du concert.
Allez poser de pareilles conditions aujourd'hui ! Le rythme des concerts
s'est précipité. Il faut mettre les bouchées doubles.
A Montreux, lecture d'orchestre, répétitions choeur, soli,
orchestre, et concert, tout doit être mis sous toit, pour des motifs
d'ordre financier, en deux jours. Imaginez la tension nerveuse que cela
représente pour le chef tout spécialement.
Or, Carl Schuricht, à 74 ans, sort vainqueur glorieux et souriant
de l'aventure qui effrayait le jeune Weingartner d'il y a cinquante ans.
La IXe, en dépit de la Salle du Pavillon qui éteint
les sonorités, coupe leur envol, condamne toute expression au ras
terre, demeurera inscrite parmi les hauts faits des annales musicales montreusiennes.
Wagner le premier, indiqua les retouches nécessaires à apporter
à l'instrumentation du Vieux Sourd, muré dans la solitude
et dont l'oeuvre géante et géniale fit longtemps l'effet
d'une élucubration désordonnée et barbare. Wagner,
le premier aussi, débroussailla l'oeuvre déclarée
incompréhensible et la révéla aux auditoires désormais
prosternés dans l'admiration. La Neuvième Symphonie de Beethoven
n'en demeure pas moins le chef-d'oeuvre d'accès difficile que l'on
n'aborde que tremblant d'émotion. Malheur au chef à l'expérience,
au métier insuffisamment aguerris. Il se heurtera aux dimensions
inusitées et fera bailler d'ennui. Rien de semblable à redouter
avec Carl Schuricht, dont la vision prophétique plane sur les immensités,
en pénètre, en éclaire tous les recoins. Unissant
le calme souverain à la force dramatique, il préside au déroulement
tragiquement douloureux du premier mouvement aux puissances démoniaques
d'un scherzo ponctué de coups de timbales, subitement interrompu
par une ronde, à la fois pastorale et enfiévrée de
passion ; aux sublimes épanchements d'un adagio vaste et traître
comme la mer ; à de poignants récitatifs préludant
au final avec choeur dont le tourbillonnement monte et grandit dans l'exaltation
d'une joie démesurée. Tout converge vers ce point final célèbre.
Les tâches du choeur y sont redoutables et déclarées
longtemps irréalisables. Le registre supérieur du soprano
se maintient dans des régions peu accessibles. Mais tout est possible
à ceux qu'habitent une volonté farouche, une foi que rien
n'entamera. Le texte de Schiller les possède. Plus rien des martèlements
durs et secs dans l'Hymne à la Joie. Nos vaillants Vaudois
chantent l'allemand dans une déclamation souple, aisée, colorée.
C'est le triomphe d'un style vocal pur et délectable jusque dans
les passages les plus redoutés. Tout sonne magnifiquement ; les
voix d'hommes surtout font merveille.
Toute l'exécution de cette Neuvième mémorable
est à l'échelle du choeur magnifiquement préparé,
qui fait l'admiration des célèbres instrumentistes parisiens.
De longtemps, probablement, on n'entendra chez nous, dans la Neuvième,
ces sonorités instrumentales dont le souvenir fait monter les larmes
aux yeux : les cantilènes expressives, suppliantes des hautbois,
des bassons, et surtout aux violoncelles l'exposé pianissimo, nourri
par l'ensemble infiniment doux des cordes, du thème de la joie,
sommet de la partition.
......
Signalons pour terminer les mérites transcendants du quatuor des
solistes, admirablement mis au point par Carl Schuricht, dont l'intervention
partout vous saisit comme une bénédiction, et composé
de Maria Slader, soprano, Katharina Marti, alto, Waldemar Kmentt, ténor,
Heinz Rehfuss, basse.
Hermann Lang
(Nouvelle Revue de Lausanne, 14.9.1954)
Mein Lieber, sehr geehrter Herr Lang,
......
Da wir Sonntag nach Copenhagen und Hamburg reisen, so möchte ich vorher
noch Ihnen zunächst einmal schriftlich vom ganzen Herzen danken für
die wundervolle Kritik die Sie über unsere Aufführung der IX.
in Montreux geschrieben haben.
Es ist eine tiefe Freude für den Interpreten, so wahrhaft und warm
verstanden zu werden, wie Sie mich und meine bescheidene Arbeit verstehen
! Innigen Händedruck !
......
Allerherzliche Grüsse von Ihrem dankbar ergebenen
Carl Schuricht
16. September 1954
Cher Monsieur Lang,
Avant de partir dimanche pour Copenhague et Hambourg, je voudrais vous
dire par écrit ma profonde reconnaissance pour la critique magnifique
que vous avez faite de notre exécution de la IXe à
Montreux. C'est une joie profonde pour les interprètes de rencontrer
la compréhension réelle et chaleureuse que vous avez exprimée
à l'égard de mes modestes efforts. Je vous serre la main
avec émotion.
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